samedi 23 mai 2009

La théorie des firmes A et J

La théorie des firmes A et J est une théorie que l'on doit à l'économiste japonais Masahiko Aoki. Elle consiste à analyser la structure d'une entreprise et ses performances à l'aune de la structure d'échange de l'information. La firme de type A (américain, aussi appelé dans les travaux ultérieurs d'Aoki le modèle H pour hiérarchique) possède une structure rigide. Ses règles et ses fonctions sont préétablies de façon précise. La firme de type J (japonais, aussi appelé modèle horizontal) au contraire possède une organisation du travail souple et sans fonction figée. Chacune possède ses domaines et conditions d'efficacité. Selon Aoki, la firme J est plus efficiente dans un univers incertain que la firme A. L'apport principal de cette distinction est de montrer qu'il existe une cohérence entre les mécanismes de coordination et les mécanismes d'incitation.

La structure d'échanges de l'information renvoie d'une part, au processus de division et d'allocation des fonctions et d'autre part, au mode de coordination de ces fonctions. Le processus de division et d'allocation des fonctions n'est pas le même dans la firme A et dans la firme J. En effet, si dans la firme A on a une organisation taylorienne avec une définition précise et a priori des fonctions, dans la firme J les fonctions sont spécialisées de façon plus souples, on pratique la rotation du personnel et les rémunérations sont déconnectées des fonctions. Quant au mode de coordination des fonctions, dans la firme A, la préférence va au contrat qui définit des objectifs de performance sur lesquels une rémunération individuelle est fixée, alors que dans la firme J, on favorise la recherche d'une compétence collective au niveau des équipes de travail.

De ces différents modes d'organisation des firmes découle des rapports entre actionnaires, managers et employés eux aussi différents. Dans la firme A, ce sont les actionnaires qui ont le pouvoir. Ils délèguent au manager leur principe d'autorité associé au droit de propriété. Ces managers délèguent ensuite à leur tour aux employés les tâches à accomplir. On a donc une double délégation par contrat de travail, à la fois aux managers et aux employés, qui accroît par conséquent les asymétries d'informations et les risques de hasard moral. Dans la firme J en revanche, le conflit d'intérêt entre employés et actionnaires profitent aux employés et les managers ne sont que des intermédiaires facilitant la négociation entre eux.

La distinction essentielle que l'on peut faire entre firme A et firme J tient à la structure d'échanges d'infirmations qui dans la firme A repose principalement sur la hiérarchie, alors que dans la firme J l'incitation est valorisée. A partir de cette distinction essentielle, trois angles peuvent être considérés : la coordination des fonctions au sein de la firme, les rapports entre banquiers et entreprises, ou des rapports entre managers, employés et actionnaires.

Premièrement, au sein de la firme, on trouve deux modes de coordination à l'œuvre. La firme A se caractérise par un mode de coordination hiérarchique, c'est-à-dire par une séparation entre les opérations de conception et d'exécution. Au niveau de l'apprentissage, elle recherche des gains de spécialisation et sa division des tâches suit des principes de spécialisation rigides. La firme J en revanche se caractérise par une coordination horizontale entre les unités opérationnelles. Au niveau de l'apprentissage, elle partage des informations et des compétences, la division du travail est souple et flexible et elle favorise la rotation des fonctions. En d'autres termes, les gains de spécialisation que l'on trouve dans la firme H sont sacrifiés au profit de l'acquisition de nouvelles informations et de la communication. En outre, l'organisation horizontale implique la mise en place de schémas incitatifs. La non définition des fonctions n'empêche pas une stratification hiérarchique. Chaque salarié a un grade qui correspond à un certain niveau de salaire mais pas à une fonction particulière. Chaque promotion fait l'objet d'une évaluation complexe qui implique d'importants bureaux de gestion des ressources humaines et la participation active des syndicats. La capacité à communiquer est un critère qui intervient directement dans l'attribution des grades. Dans la firme J, l'incitation porte donc sur l'accroissement des compétences au travers des mécanismes d'apprentissage et à la communication entre les employés. Dans la firme A, les opportunités d'apprentissage en dehors d'une spécialisation accrue sont faibles, les éléments essentiels de la fixation du salaire et de la carrière sont négociés dans le contrat de travail selon des procédures marchandes.

Deuxièmement, la structure des échanges de l'information avec les acteurs financiers met l'accent sur les rapports entre hiérarchie et incitation que la firme entretient avec les banques ou les actionnaires. Le modèle hiérarchique (firme A) se caractérise par le poids des contraintes financières et de la rentabilité à court terme. Cela est dû au fort pouvoir relatif des actionnaires et des banquiers qui disposent d'un véritable pouvoir hiérarchique. En revanche, le modèle horizontal (firme J) se caractérise par l'absence de relation hiérarchique entre banquiers et managers. Les banquiers interviennent pas ou peu sur les choix et la gestion des managers. Les institutions interviennent mais de manière discrète et elles pilotent l'entreprise par le biais d'incitations. La firme est associée à une banque principale qui est aussi l'actionnaire de la firme. Ce jeu croisé de participation entre firme et institution financière garantit une autonomie de gestion et une stabilité à long terme.

Troisièmement, la structure des échanges entre actionnaires, managers et employés est un principe qui renvoie à la gestion du partage du pouvoir entre les différents centres d'intérêt qui composent la firme. Du point de vue du contrôle, la firme A est placée sous le contrôle des actionnaires, elle reste orientée par la recherche du profit maximum. Au contraire, la firme J est sous un double contrôle : celui des actionnaires et des employés. La firme est orientée plutôt par la conciliation des intérêts des groupes qui la composent. Les managers sont les médiateurs des intérêts des actionnaires et des employés (la firme est une structure de coalition stable : le processus de coopération institué dans la firme J institue un processus de coopération au cours duquel les objectifs des participants sont rendus compatibles). La firme J a certes une contrainte de rentabilité, mais elle cherche plutôt à maximiser son taux de croissance et à garantir l'emploi de ses salariés.

En conclusion, ce concept de structure d'échanges de l'information permet de mettre l'accent sur une série de dimensions décisives du fonctionnement des firmes, notamment le choix entre hiérarchie ou incitation, contrat ou négociation, spécialisation ou apprentissage. L'analyse de la firme J met l'accent sur des caractéristiques qui sont restés longtemps spécifiques aux firmes japonaises. Les travaux d'Aoki ont permis d'identifier deux modèles de firmes saisies à un moment du temps, à la fin des années 70, de façon à contraster leurs caractéristiques essentielles. Cette opposition non seulement met en évidence des formes type, mais suggère aussi que ces différentes formes possèdent chacune leur propres conditions d'efficacité. Dans un univers incertain, la firme J semble plus efficiente. Elle s'apparente à un système de management organique caractérisé par une coordination horizontale des unités opérationnelles et une rotation des tâches, alors que la firme H, adaptée à la grande série standardisée pour des marchés en croissance, rencontre des difficultés dès lors qu'il y a nécessité de s'ajuster en permanence à un environnement changeant. On a donc un système de management mécaniste : séparation hiérarchique entre décisions stratégiques et opérationnelles, recherche d'économie de spécialisation.

On peut cependant nuancer cette analyse par trois observations : la structure d'échange de l'information ne doit pas éclipser les innovations organisationnelles de la firme J (production juste à temps, gestion de la qualité, etc.), ni l'environnement institutionnel (l'organisation du système financier japonais, son évolution montre une importance croissante des marchés et remet en cause l'analyse proposée au niveau des relations entre banquiers et entreprises), ni enfin la faiblesse du syndicalisme japonais (qui a aujourd'hui peu de marges de manœuvre pour contrôler les décisions managériales).

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