vendredi 15 mai 2009

L’économie d’Ancien Régime

L'histoire économique de l'Ancien Régime s'étend sur trois siècles, de la fin du Moyen Âge (XVe siècle) à l'âge industriel qui commence en Angleterre dans la première moitié du XVIIIe siècle. On qualifie aussi cette économie de pré-industrielle parce qu'elle comporte des éléments qui annoncent la révolution agricole et l'économie industrielle. Cette période économique est donc caractérisée d'un côté, par une structure qui la rattache à une économie archaïque traditionnelle fondée sur l'agriculture, caractérisée par une dispersion de l'industrie et par de nombreuses entraves au commerce, et de l'autre, par une rigidité sociale importante. On peut d'ores et déjà pressentir l'avènement de changements futurs, notamment par la croissance du secteur industriel et le développement d'une demande importante.

Dans l'économie d'Ancien Régime, le secteur dominant est encore, comme au Moyen Âge, l'agriculture. Elle occupe 80% de la population active et assure la majeure partie du revenu des différentes classes de la société : le revenu des producteurs comme celui des bénéficiaires de la rente foncière. Sa technicité a peu évolué (permanence de la jachère, outillage rudimentaire) et ses rendements demeurent structurellement faibles. Son activité industrielle, c'est-à-dire la production de produits manufacturés, est marginale, mais elle existe néanmoins. Elle est caractérisée par une dispersion géographique (dans les villes, les villages et les campagnes, cf. le système de putting out), une liaison forte avec l'agriculture (les matières premières : laine, lin, chanvre, proviennent surtout de l'agriculture) et une production faiblement capitalistique (utilisation de peu d'outils ou de machines, peu de détours de production : simple transformation de facteurs primaires en biens de consommation finale) à destination de la consommation finale (la consommation de biens intermédiaires ou d'équipement étant faible). Quant aux activités commerciales, elles sont très diversifiées (colporteurs, boutiquiers, négociants), mais rendues difficiles par le faible développement des transports (transports terrestres lents, dangereux et coûteux, ce qui favorise le développement des transports par voie d'eau, cf. le canal du midi construit en France au XVIIe siècle).

La société d'Ancien Régime est fondamentalement inégalitaire : les classes sociales sont figées et la richesse accaparée par une infime partie du corps social. Cela favorise le développement d'une consommation ostentatoire qui est responsable de la faible disponibilité en capital. La main d'œuvre est rurale, occupée à une agriculture peu productive, peu mobile et faiblement qualifiée. Les rigidités qui la caractérisent viennent donc principalement de l'agriculture, son secteur le plus important. Elles sont de deux types : la tyrannie des céréales et l'organisation des modes d'exploitation agricoles (l'openfield).

La tyrannie des céréales tout d'abord : l'agriculture d'Ancien Régime produit surtout des céréales (3/4 des terres ensemencées) parce qu'elles offrent un meilleur rendement (selon Paul Bairoch, un hectare de blé permet de nourrir dix fois plus de personnes qu'un hectare consacré à l'élevage). Malgré tout, les rendements de cette culture restent faibles. La technique de la « fumure » (utilisation du fumier animal pour lutter contre l'appauvrissement des sols) est connue mais peu utilisée à cause de la quasi-absence d'élevages. Or la jachère suppose de laisser pendant une année tous les trois ans un sol improductif. En outre, une fiscalité sur les produits de la terre appauvrit le producteur et l'oblige à cultiver des céréales pour maintenir un niveau de vie minimale.

L'openfield ensuite, est la forme la plus courante d'exploitation des terres. Ce modèle d'organisation est composé d'un bourg entouré de trois cercles concentriques : une zone de jardins où les villageois cultivent des légumes et élèvent des volailles, une zone de champs ouverts, c'est-à-dire non clôturés, où l'on cultive les céréales (ces champs sont des propriétés foncières très imbriquées, gérer par une assemblée de gros propriétaires) et une zone d'espaces communaux (ce sont des terres non cultivables qui appartiennent à tous les habitants de la paroisse et permettent aux plus pauvres de trouver des baies ou des champignons, la chasse étant strictement réglementée).

Ces rigidités n'empêchent pas l'émergence de première forme d'industrialisation. La croissance de la démographie, surtout au profit de la population des villes, implique une demande plus importante en nourriture. Pour y répondre de nouvelles terres sont consacrées à la production de denrées alimentaires : on déboise, on assèche, on transforme les pâturages en terres à blé. Il faut aussi produire plus d'outils agricoles, ce qui accroît la demande de produits industriels. De nouveaux besoins apparaissent suite à la satisfaction des besoins en nourriture : la demande en vêtements, logements, chauffage, mais aussi d'ustensiles de cuisine, linge de maison, biens de luxe pour satisfaire les nouvelles catégories de population urbaine. Les ressources minières sont de plus en plus exploitées : le charbon pour suppléer le bois et le fer. Tout cela permet l'essor de la métallurgie, de l'industrie du luxe et de l'industrie textile. Mais on n'assiste pas encore à une révolution industrielle (les différents troubles politiques graves comme les guerres de religion, les guerres civiles, la guerre de trente ans, la peste et la famine conduisent à une chute de la démographie et donc de l'effet positif sur la croissance économique qu'elle exerçait au XVIe siècle, démontrant un effet purement quantitatif). Pour que cette rupture qualitative s'opère, il aurait fallu l'apparition massive des innovations techniques et organisationnelles que l'on trouve au XVIIIe siècle.

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