Il faut tout d'abord distinguer la connaissance de l'information. Comme le rappelle Dominique Foray, la connaissance est une information qui a quelque chose de plus que celle-ci : elle permet d'engendrer de nouvelles informations. La connaissance est donc fondamentalement une capacité d'apprentissage et de cognition, alors que l'information est un ensemble de données stériles. La reproduction de la connaissance se fait par apprentissage, alors que la reproduction de l'information se fait par duplication. Pour reproduire une connaissance, il faut mobiliser une ressource cognitive, un copier/coller ne suffit pas.
N'importe quelle activité de production peut donner lieu à un apprentissage et donc peut produire une connaissance. Dans de nombreuses activités, la production de connaissance sans être l'objectif essentiel, peut très bien exister. Il peut se former un apprentissage par la pratique qui permet d'accroître la productivité du travail ou un apprentissage par l'usage qui permet à l'usager de maîtriser une nouvelle technologie grâce aux connaissances spécifiques qu'il en acquiert.
La connaissance comprise comme bien économique pose des problèmes de mesure. Les catégories traditionnelles offrent comme avantage la possibilité de mesurer – on peut par exemple mesurer les résultats de la recherche sous la forme d'outputs spécifiques (brevet, logiciel, publication, etc.) – mais l'observation de la connaissance est souvent impossible. Ainsi ce n'est jamais la connaissance en elle-même qu'on évalue, mais ses indicateurs. Or une grande part de la connaissance est tacite. En outre, il n'est pas possible d'additionner les valeurs des transactions effectuées sur la connaissance : quelqu'un qui vend une connaissance, la garde en sa possession, l'acheteur une fois la connaissance acquise n'a pas besoin de l'acheter une nouvelle fois pour la réutiliser et l'acheteur ne peut évaluer une connaissance avant de l'avoir lui-même acquise. Enfin l'environnement de la firme comme les liens avec les universités, la qualité du système de propriété intellectuelle, du fonctionnement du marché financier, des lois régissant le marché du travail ont un aspect déterminant dans l'explication de la croissance économique. La notion de système national d'innovation rend compte des institutions qui influencent les stratégies d'innovation des firmes au niveau national.
La connaissance est présente partout, elle est un produit-joint des activités de production de consommation. Elle est présente évidemment dans la recherche. La recherche désigne la production de connaissances effectuée de façon délibérée. Le terme R&D désigne ces travaux de recherches lorsqu'ils sont entrepris sur une base systématique dans le but d'accroître le stock de connaissances. Il existe différents types de recherche. On peut faire une différence entre la science et la technologie : les deux produisent des connaissances, mais la première en recherche de base, l'autre en recherche appliquée. Le critère est donc la plus ou moins grande proximité avec l'application commerciale.
Mais la connaissance ne se limite pas à la recherche. Toute activité de production ou d'usage d'un bien peut donner lieu à l'apprentissage et à la production de connaissance. Les processus d'apprentissage sont traditionnellement analysés par les économistes par des courbes qui décrivent une relation fonctionnelle entre le produit cumulé et les gains de productivité. La question du pourquoi de cette relation est ainsi laissée à la psychologie, aux sciences de l'éducation et aux sciences cognitives. Mais les travaux récents sur l'apprentissage technologique cherchent à comprendre les processus d'adaptation à une technologie. Les apprentissages sont des expérimentations au cours de l'activité de production. Il en existe deux sortes : l'apprentissage de nature routinière (il dépend de la répétition de l'action) et l'apprentissage par des expériences au cours de l'activité de production (il permet de sélectionner la meilleure stratégie pour des actions futures).
En conséquence, la connaissance comme bien économique existe non seulement dans la recherche mais aussi au sein de l'activité de production. La connaissance présente donc deux dimensions : une dimension tacite et une dimension codifiée. Une connaissance tacite est une connaissance inexprimable hors de l'action qui la détient, son possesseur ignore souvent qu'il sait. Pour la rendre consciente, il faut décrire minutieusement ce que l'on faisait alors sans y penser. La connaissance tacite se prête mal à de nombreuses opérations comme l'échange, la diffusion et l'apprentissage car ils supposent la mobilité et la démonstration volontaire des personnes qui les détiennent, ce qui est coûteux et difficile à mettre en œuvre. Le stockage de ces connaissances sont conditionnés par le renouvellement des personnes qui en détiennent les connaissances (on peut désinventer la bombe nucléaire : les connaissances tacites sont si importantes qu'il suffit d'une coupure d'une génération pour oublier comment on la fait). Les connaissances tacites ne peuvent pas être classées systématiquement.
La codification au contraire permet de réduire les difficultés et les risques liés à l'explicitation des connaissances tacites. On place alors la connaissance d'une personne sur un support, ce qui engendre des coûts fixes élevés mais un coût marginal faible. Une connaissance codifiée est aisément reproductible : elle permet de multiplier les copies. De plus, la connaissance codifiée devient une marchandise : elle devient aisément transférable. Enfin, elle permet d'externaliser la production de connaissances et autorise les firmes à acquérir des quantités plus importantes de connaissance pour un coût donné. Du coup, les firmes peuvent acheter les connaissances sans avoir à les produire elles-mêmes. Ces bénéfices sont toutefois potentiels car pour réaliser des bénéfices, il faut investir dans la formation d'une communauté d'agents capables de manipuler et de déchiffrer des codes. Il demeure toujours une dimension irréductible des connaissances tacites. Le processus de codification ne peut fournir que des solutions incomplètes au problème de l'expression de la connaissance. Un message codifié nécessite des connaissances pour être exploité.
La connaissance est un bien économique étrange avec des propriétés ambivalentes : elle a un rendement social élevé tout en posant des problèmes d'allocation de ressources. Le rendement social qu'elle génère (c'est-à-dire la production d'externalité bénéfique à un nombre important de personnes) tient à ces trois propriétés de la connaissance essentielles : l'incontrôlabilité, la non-rivalité et la cumulativité. La connaissance est un bien difficilement contrôlable de façon privée car les fuites sont nombreuses. Elle est aussi un bien non rival, car les externalités qu'elle génère sont inépuisables (elle ne se détruit pas dans l'usage). La connaissance est enfin un bien cumulatif : elle permet la production de nouvelles connaissances. La connaissance pose cependant un problème d'allocation de ressource : l'activité de production de connaissances engendre un profit dont une part est externalisée, c'est-à-dire captée par d'autres. Cela crée une situation de défauts d'incitation : les entreprises investissent peu dans la recherche. Ce problème est appelé le « problème de bien public » (Pigou) : on ne peut pas par exemple quantifier le rendement social du théorème de Pythagore.
En conclusion, la connaissance pose un problème de bien public : sa production est coûteuse, mais le coût de son usage doit être réduit si l'on ne veut pas freiner le progrès collectif. Cela ne signifie pas pour autant que la connaissance doit être produite par l'Etat. Simplement on ne peut s'appuyer exclusivement sur un système concurrentiel pour en assurer la production de manière efficiente. Deux grands régimes d'incitation et de coordination fournissent des mécanismes pour régler le problème que pose la présence d'externalités de connaissance au créateur intellectuel. Il s'agit du marché privé et des organisations publiques. Ils mettent en place des dispositifs de recherche différents. Le premier dispositif correspond au secteur privé : il consiste à restreindre l'accès à la connaissance par un brevet. Le second correspond au secteur public : il consiste à générer des savoirs ouverts. Dans le premier cas, l'idée est de favoriser la propriété intellectuelle, dans le second, on va favoriser la diffusion rapide de la connaissance. Cependant on peut avoir une pluralité de combinaisons. Les acteurs coopèrent en dehors des logiques propres à leur secteur : les universités déposent des brevets, les entreprises produisent des publications scientifiques pour attirer des partenaires académiques. Ainsi les deux secteurs se renforcent l'un l'autre.
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