jeudi 7 octobre 2010

L’apprentissage par la pratique

L'apprentissage par la pratique (learning by doing) désigne le gain de productivité réalisé dans une entreprise grâce à l'expérience et à l'habitude acquises par les travailleurs. Il désigne leur capacité à améliorer leur productivité en répétant régulièrement le même type d'action. L'augmentation de la productivité est obtenue par l'auto-perfection et des innovations mineures. Le fait de reprendre, lors d'un processus de fabrication, les mêmes opérations et de résoudre les mêmes difficultés ou des difficultés voisines, crée des habitudes rendant la production plus efficace et de meilleure qualité, et les salariés de plus en plus qualifiés.

Dans "The economic implications of learning by doing" (1962), Kenneth Arrow montre que l'efficacité des facteurs de production dépend de l'apprentissage : la combinaison productive devient de plus en plus efficace au fur et à mesure qu'elle est mise en pratique par les travailleurs. Il a donc été le premier à essayer « d'endogénéiser » le progrès technique dans le modèle de Robert Solow (''A Contribution to the Theory of Economic Growth'', 1956), en montrant qu'une part de ce progrès technique, « tombé du ciel » selon Solow, provenait de l'apprentissage.

En 1986, Paul Romer publie son article célèbre ''Increasing Returns and Long-run Growth'' sur la théorie de la croissance endogène. Il reprend cette idée de l'effet de l'accumulation du savoir-faire comme source de la croissance. Robert Lucas (''On the Mechanics of Economic Development'', 1988) a adopté le concept d'apprentissage pour expliquer l'augmentation des rendements du capital humain incarné. Selon Lucas, le capital humain, c'est-à-dire le stock de connaissances économiquement valorisables incorporées aux individus (par la formation et l'éducation), a un effet positif sur la croissance économique car il améliore la productivité du travail.

Xiaokai Yang et Jeff Borland (''A Microeconomic Mechanism for Economic Growth'', 1991) ont montré que l'apprentissage par la pratique jouait un rôle dans l'évolution des pays vers une plus grande spécialisation de leur production.

Autor, Levy et Murnane dans ''The Skill Content of Recent Technological Change: An Empirical Exploration'' (2001) montrent que la diffusion de l'outil informatique s'est accompagnée d'une baisse de la demande relative pour le travail manuel routinier. Par conséquant, dans de nombreux métiers, les tâches sont devenues à la fois moins routinières et plus complexes. Lindbeck et Snower (''Multitask Learning and the Reorganization of Work: From Tayloristic to Holistic Organization'', 2000) avancent que le développement de la polyvalence, la déspécialisation du travail, et donc la diminution du caractère routinier de ce travail, se matérialisent, concernant la productivité des travailleurs, par deux effets d'apprentissage :

  • l'apprentissage intra-tâches : plus un individu consacre du temps à une tâche, plus sa productivité sur cette tâche augmente ;
  • l'apprentissage inter-tâches : la possibilité d'utiliser l'information et l'expérience acquise sur une tâche pour améliorer sa productivité sur d'autres tâches.

Ainsi Martine Carré (« Nature du progrès technique et instabilité des emplois », 2003) met en évidence la possibilité pour qu'un caractère de moins en moins routinier du travail puisse se manifester, selon le type de secteur et d'emploi, par une diminution ou une augmentation de la vitesse d'apprentissage sur le poste de travail.

L'application formelle du toyotisme (en anglais le Toyota Production System : TPS) utilise l'apprentissage à travers le kaizen. Le kaizen est un principe d'autonomisation des équipes : elles sont elles-mêmes en charge de définir les temps standards de production et de se répartir les diverses opérations de fabrication d'un produit. Dans certaines industries, le kaizen permet de travailler plus efficacement en tirant un bénéfice de l'effet d'apprentissage (le savoir faire accumulé de la main-d'oeuvre) à travers un système d'amélioration continue des processus de production.

Récemment, l'apprentissage par la pratique est devenu un outil de gestion d'entreprise connu sous le nom de point de vue des ressources (Ressources Based View : RBV). Cet outil sert à identifier quelles sont les ressources stratégiques disponibles pour une entreprise en matière d'apprentissage. Le principe fondamental de la RBV est de construire un avantage concurrentiel sur l'identification des processus d'une entreprise à fort potentiel d'apprentissage.

En pédagogie, l'apprentissage par la pratique est obtenu par les élèves grâce à leur propre expérience. Cela contraste avec les apprentissages scolaires par transmission directe (maître à élève) ou indirecte (manuels scolaires, Cdroms, vidéos vers l'apprenant). Dans l'apprentissage par la pratique, il est essentiel que l'expérience soit une relation à double sens, où l'étudiant d'une part, est actif par rapport au monde autour de lui, mais d'autre part, assume aussi lui-même les conséquences de ses propres priorités, décisions et actions.

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