vendredi 8 octobre 2010

Les délocalisations

Une délocalisation (offshoring en anglais) désigne le changement de localisation internationale d'une activité économique.

La délocalisation nécessite plusieurs conditions pour avoir lieu. Elle doit être possible techniquement, c'est-à-dire que le pays d'accueil doit être doté des infrastructures disponibles pour gérer le type d'activité délocalisé, qu'il existe des moyens de transport rapide, fiable et bon marché. Elle également inséparable de la mondialisation, c'est-à-dire de la liberté de commercer ou d'échanger ainsi que de la liberté de s'installer où il apparaît le plus rentable de produire. Ainsi la diminution, voire la suppression des barrières tarifaires ou réglementaires aux échanges par la mise en œuvre d'accords internationaux constituent des supports à la possibilité de délocaliser les activités économiques.

La définition stricte de la délocalisation comme le changement de localisation internationale d'une activité économique pose plusieurs problèmes. D'une part elle ne prend pas en compte les activités créées à l'étranger alors qu'elle aurait pu l'être dans le pays d'origine de l'entreprise. D'autre part, le recours à la sous-traitance étrangère (l'externalisation par une entreprise d'une de ses activités à l'extérieur du pays) n'est pas considéré comme une délocalisation au sens strict. Il faut donc élargir le sens du terme délocalisation et considérer qu'il englobe toute création d'activité à l'étranger qui aurait pu être localisé dans le pays d'origine de l'entreprise. On mesure cette création au moyen des investissements directs à l'étranger (IDE). Les IDE (en anglais FDI : Foreign Direct Investment) sont les mouvements internationaux de capitaux réalisés en vue de créer, développer ou maintenir une filiale à l'étranger ou d'exercer le contrôle ou une influence significative sur la gestion d'une entreprise étrangère.

De 1980 à 2008, les IDE sont passés de 2 % de l'investissement mondial à 13 %. Les délocalisations au sens strict comptent pour une très faible part dans ces IDE. Les IDE concernent surtout des créations d'activités par externalisation (en anglais outsourcing). L'externalisation consiste pour une entreprise à abandonner certaines fonctions pour les confier à des sous-traitants, ce qui à l'extrême, peut aboutir au modèle de l'entreprise sans usines. L'externalisation se développe d'abord pour les fonctions périphériques de l'entreprise (services informatiques, gestion des impayés), puis se développe également à travers la modularisation de la production (c'est-à-dire le fait de diviser la production en modules indépendants jusqu'à l'assemblage final, ce qui favorise la division internationale du travail). Suzanne Berger dans Made in monde (2006) montre par exemple que l'iPod d'Apple est le résultat d'un assemblage réalisé en Chine par le taïwanais Inventec de pièces et de programmes à la fois japonais, américains et coréens.

L'une des peurs souvent associées à la délocalisation est celle des destructions d'emploi. Aubert et Sillard dans « Délocalisations et réductions d'effectifs dans l'industrie française » (2005) tentent un chiffrage assez large de l'impact réel des délocalisations sur l'emploi en prenant en compte des présomptions de délocalisation (réduction significative d'effectifs ou fermeture d'établissement combiné avec une augmentation au niveau du groupe des importations). Or statistiquement, cela représente sur la période 1995-2001 seulement 2,4 % des destructions d'emplois, c'est-à-dire 95 000 emplois industriels sur la même période (13 500 par an) alors qu'on estime à environ 500 000 le nombre d'emplois industriels détruits chaque année. L'impact des délocalisations sur les destructions d'emploi reste donc assez peu significative au regard de ces chiffres.

En revanche, un phénomène économique est intéressant à observer concernant la marginalisation du Sud dans la mondialisation. En 2004 en effet, on estime que 49 % des contrats de sous-traitance concernent l'Europe, 42 % les Etats-Unis et 9 % seulement pour le reste du monde. En outre, les deux tiers des IDE continuent d'aller vers les pays développés. A l'exception de l'Asie orientale, dont la part est passée de 5 % à 15 % en trente ans, le Sud continue d'être marginalisé. Cette situation s'explique par le fait que même si le coût du travail est moins élevé dans les pays du Sud (un ouvrier au Malawi coûte 30 centimes de l'heure, 40 fois moins qu'en France), du fait de la mécanisation, le travail d'exécution n'est plus un élément primordial du coût de production. De surcroît, la qualité de l'environnement et des infrastructures ainsi que la stabilité politique et économique font souvent défaut à de tels pays, ce qui peut entraîner d'importants surcoûts pour une entreprise. Enfin, il faut tenir compte de la qualité de la main-d'œuvre. Les délocalisations doivent souvent être accompagnées par des cadres expatriés qui doivent encadrer les opérateurs locaux, ce qui engendre un surcoût. L'idée d'un Sud venant prendre les emplois du nord est donc une idée fausse car le défaut de qualité de la main d'œuvre ne permet pas de compenser le faible niveau de salaire exigé.

Comme le montre l'analyse de Gene Grossman et Esteban Rossi-Hansberg (« Trading Tasks : A Simple Theory of Offshoring », 2008), ce qui s'échange dans le commerce international, ce ne sont pas des biens mais des tâches. La délocalisation donne l'occasion aux salariés des pays développés de se concentrer sur les tâches à haute valeur ajoutée alors que les tâches à faible valeur ajoutée sont déléguées aux pays du sud. Il existe donc selon ces auteurs un « effet productivité » lié aux délocalisations qui a tendance à être trop souvent oublié. Lorsqu'une entreprise comme Apple externalise des tâches d'assemblage en Chine, elle ne délocalise en réalité qu'une faible part de la valeur ajoutée produite en grande partie dans le pays d'origine (les Etats-Unis). Elle conserve chez elle, en Californie, les tâches de conception qui sont à haute valeur ajoutée. En revanche, elle va externaliser les tâches facilement délocalisables afin d'en réduire le coût, ce qui va produire un effet productivité sur l'ensemble de la chaîne de valeur ajoutée (le produit est toujours le même, mais son coût de production diminue). Cet effet productivité permet au consommateur de voir le prix du produit baisser, d'en acheter davantage, et d'augmenter la demande pour d'autres produits à forte valeur ajoutée, ce qui nécessite de faire fonctionner les tâches de conception à haute valeur ajoutée située en Californie.

Selon Anderson et Van Wincoop (Trade cost, 2004), entre le prix du produit à la sortie de l'usine et le prix demandé dans les grands magasins aux consommateurs, il y a une augmentation du prix de 170 %. Le prix du consommateur comprend des coûts importants de transaction tels que des coûts de conception, d'organisation, de transport, de distribution, de marketing, etc. Malgré la globalisation donc, ces coûts de transaction restent élevés, ce qui signifie qu'un consommateur du Nord consomme davantage de marketing ou de la distribution, que de la main d'œuvre issue des pays du Sud. Pour de nombreux produits de consommation durable, la part de la recherche, du marketing, du design, représente ainsi une part plus importante que la fabrication elle-même, ce qui tend à démontrer l'effet positif des délocalisations dans le commerce international.


Bibliographie


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