mardi 26 mai 2009

La propriété de l’entreprise

En tant qu'objet économique, l'entreprise a un ou plusieurs propriétaires. Mais être propriétaire ne signifie pas nécessairement en avoir le contrôle total. Par exemple, on peut détenir des titres de propriété sur une société (actions, parts sociales) et pour autant ne pas avoir le droit d'aller dans ses locaux pour y prendre du matériel ou des marchandises. Cela tient à deux raisons : l'une est juridique et l'autre est économique. La raison juridique est qu'un actionnaire possède seulement des actions et des parts sociales, il n'est pas propriétaire des éléments de l'entreprise. La raison économique tient à la distinction entre société et entreprise : une société est définie par ses actions et ses parts sociales, alors qu'une entreprise réalise la production. Par conséquent, il faut faire la différence entre la propriété de l'entreprise et sa direction : d'un côté, les apports de fonds, les apports de brevets, la participation au capital social (les obligations, l'actionnariat salarié ou non), et de l'autre, le contrôle par le biais d'un contrat, d'une franchise, d'une licence ou d'un brevet, d'une procuration, d'une prise de participation, de relations personnelles, etc.

Dans La Richesse des Nations (1776), Adam Smith ne sépare pas l'apport du contrôle, la propriété du pouvoir. Le dirigeant de la manufacture est aussi son propriétaire. Mais avec l'industrialisation croissante une dualité va s'instaurer. L'historien Alfred Chandler montre dans La main visible des managers que l'entreprise moderne s'est progressivement substituée aux mécanismes du marché dans la tâche de coordonner les activités économiques et de répartir les ressources. Au cours du XIXe siècle, pour faire face à l'augmentation de la demande, une hiérarchie de cadres salariés moyens et supérieurs, « une classe d'hommes d'affaires entièrement nouvelle », a été employée pour superviser et coordonner le travail des unités productives : la main visible des managers a donc remplacé la main invisible des forces du marché. Dans le même ordre d'idée, John Burnham parle de l'avènement de « l'ère des organisateurs » (The Managerial Revolution : What is Happening in the World, 1941) : il décèle un processus de bureaucratisation des sociétés modernes. La révolution managériale renvoie au développement d'une classe sociale de techniciens qui prend, indépendamment des types de régimes politiques et économiques de l'époque, possession des grandes unités de pouvoir que sont la grande industrie, l'appareil gouvernemental, les organisations syndicales, les forces armées, constituant ainsi la classe dirigeante (cette idée a fortement influencé le roman de George Orwell intitulé 1984). Enfin, dans Le nouvel Etat industriel (The New Industrial State, 1967), John Kenneth Galbraith évoque le terme de technostructure pour désigner une étape dans le développement des grandes entreprises caractérisée par une augmentation du pouvoir collectif des techniciens et des cadres, au détriment des propriétaires. Ces technocrates imposeraient peu à peu leurs choix à leurs clients plutôt que d'être à leur écoute. Ce changement est dû, d'une part au contexte historique, à savoir la Crise de 1929 et à la Seconde Guerre Mondiale et d'autre part, au simple effet de dilution des capitaux des entreprises entre les différents héritiers, plus nombreux à chaque génération.

Aborder la question de la propriété de l'entreprise suppose donc de faire la distinction entre ceux qui apportent des capitaux et ceux qui en ont le contrôle. Ce sont aux premiers que nous allons nous intéresser ici. Nous définirons tout d'abord les actions, les obligations et les autres créances, puis nous aborderons l'actionnariat salarial, enfin nous évoquerons les différents apports ou autres transferts qu'il est possible de réaliser au sein d'une entreprise.

Tout d'abord, nous allons voir les titres de propriété que l'on qualifie de valeurs mobilières. Une valeur mobilière est fongible (elle appartient à un genre et ne renvoie pas à une identité particulière, dans le cas de ces titres de propriété, dans le cadre d'une même émission, ils donnent les mêmes droits), elle peut être cotée en bourse et peut procurer des revenus (elle représente un droit mobilier incorporel, elle confère donc à son propriétaire un droit personnel contre la société qui les a émises).

Une action (en anglais britannique : share, en anglais américain : stock) est un titre de propriété délivré par une société de capitaux (i.e. une société anonyme ou Société en commandite par actions). Elle confère à son détenteur la propriété d'une partie du capital (et non pas de l'entreprise), avec les droits qui y sont associés : intervenir dans la gestion de l'entreprise et en retirer un revenu appelé dividende. Elle peut être cédée à des tiers, notamment sur le marché boursier qui détermine sa valeur. Le détenteur d'actions est qualifié d'actionnaire et l'ensemble des actionnaires constitue l'actionnariat. A chaque action est associé un droit de vote à l'Assemblée Générale des actionnaires.

Une obligation (bond) est une valeur mobilière qui est un titre de créance représentatif d'un emprunt. En tant que tel, l'obligation est cessible et peut donc faire l'objet d'une cotation sur une Bourse. Dans la pratique, les volumes échangés se négocient principalement de gré à gré (c'est-à-dire à l'amiable). Elle ne confère ni un titre de propriété sur le capital social, ni un droit de vote à l'Assemblée Générale. Elle est rémunérée par un intérêt fixe, que l'entreprise soit ou non rentable.

Un certificat d'investissement est une valeur mobilière de création permettant aux sociétés par actions d'accroître leurs fonds propres sans modifier la structure de leur propriété. Il ne peut dépasser le quart du capital social. Il donne droit à des dividendes, mais ne procure pas la possibilité de vote à l'A.G. Il existe néanmoins un droit de participation à une A.G. spécifique de porteurs de certificats d'investissement.

Une action d'apport est une contribution en nature au capital social : machines, équipement, ou encore marchandises, bâtiments, terrains, brevets, licence, etc.

Nous allons maintenant aborder un autre ensemble de titre de propriété qui est cette fois-ci à destination des salariés.

Le plan de stock options (stock option plan) est un dispositif d'intéressement des salariés qui leur permet de souscrire ou d'acheter à des conditions privilégiées des actions de la société qui les emploie (ou une société apparentée). Il faut pour cela que la société soit une société anonyme ou une société en commandite par actions, qu'elle soit ou non cotée en bourse. Elles sont parfois utilisées pour augmenter le salaire d'une partie des employés de l'entreprise (notamment les cadres). Le salarié peut revendre ces actions sur le marché. La société peut bloquer cependant la revente durant une période de trois ans maximum. Le montant cumulé de ces options ne doit pas dépasser le quart du capital social.

La souscription ou l'achat en bourse d'actions réservées concerne la totalité des salariés d'une société par actions, mais il faut avoir une ancienneté dans l'entreprise de six mois à trois ans. Ces souscriptions peuvent être effectuées par l'intermédiaire d'un fonds commun de placement propre à l'entreprise. Elles ne peuvent pas être vendues pendant une durée de cinq ans et leur montant cumulé ne doit pas dépasser le cinquième du capital social.

Les distributions exceptionnelles d'actions aux salariés sont des actions distribuées gratuitement, bloquées généralement pendant trois à cinq ans, rémunérées par un taux d'intérêt fixe. Les plans d'épargne entreprise permettent la constitution d'un portefeuille de valeur mobilière.

Le rachat de l'entreprise par les salariés (Leverage Management Buy Out) est un dispositif autorisé depuis 1984 en France. Il permet de revendre une société à ses propres salariés par le biais d'une société de holding où ils sont majoritaires. Ce phénomène concerne surtout les entreprises de petite ou moyenne taille (par exemple Darty).

Enfin pour terminer ce tableau de présentation des titres de propriété, il faut évoquer les transferts et les apports.

Les transferts concernent la propriété, les apports de brevets, de marques, de licences, de baux, de droits sociaux ou de fonds de commerce (ensemble de biens corporels et incorporels affectés à une exploitation commerciale). Leur nature juridique consiste en un apport en nature, en une concession ou biens immeubles. La rémunération est liée à la forme d'intégration au sein du capital social tout comme le droit de vote.

Les apports en industrie sont les apports en temps de travail, en activités ou en tâches. Ils ne sont pas intégrés au capital social et ne donnent aucun droit de vote. Ils ne sont pas reconnus par la législation française, ils ne peuvent donc pas représenter des actions, ni concourir à la formation du capital social.

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