Frederick Winslow Taylor est le premier grand théoricien des organisations. Dans Principles of Scientific Management (1911), il considère que l'organisation de l'entreprise peut faire l'objet d'une science. Autrement dit, l'entrepreneuriat ne relève pas du génie ou d'une quelconque prédisposition, mais d'une technique qui peut s'apprendre. Son idée est de rationaliser les processus de production afin d'augmenter le rendement de l'entreprise sans augmenter le temps de travail. Cette rationalisation peut être réalisée par un ingénieur qui doit mesurer et calculer la façon la plus efficace de produire un bien ou un service. L'une de ses propositions est de motiver les employés par le biais de primes au rendement afin de l'inciter à rendre son travail optimal.
Ses idées font néanmoins l'objet de critiques :
- il traite l'organisation comme un milieu clos (Taylor ne se préoccupe pas de l'insertion de l'organisation dans la société) ;
- il laisse de côté les modes de prise de décision des dirigeants (il fait une science du travail plutôt qu'une science de la direction) ;
- il considère l'employé comme une machine dont la seule motivation est le gain financier ;
- il se concentre sur les activités de production (il ne prend pas en compte les sentiments de l'employé ou les relations qu'il noue au sein de l'entreprise) ;
- il part du postulat que les agents sont rationnels et sensibles uniquement à l'évolution de leur rémunération.
Si le taylorisme connaît un certain succès pour la rationalisation des tâches les plus simples, il échoue en revanche pour organiser le travail plus complexe. Les lois qui régissent le travail manuel routinier ne sont pas les mêmes que celles permettant le lancement d'un nouveau produit sur le marché ou la direction de chefs de service. C'est à Henri Fayol qu'il revient d'avoir développé une théorie de l'administration et de la décision administrative. Dans Administration industrielle et générale (1916), Fayol distingue cinq fonctions administratives : prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler. La science administrative a donc pour fin non pas seulement l'amélioration du rendement, mais aussi et surtout l'amélioration du fonctionnement global de l'entreprise. La rationalisation ne porte pas seulement sur le travail des employés, mais sur le meilleur fonctionnement global de l'entreprise, sur le rôle des dirigeants comme des exécutants. Elle amène ainsi à bien considérer l'organigramme, à déterminer clairement l'ensemble du fonctionnement de l'organisation, d'apprécier sa structure, ses services et sa hiérarchie. L'enjeu de l'observation de l'organigramme doit permettre de déceler les éléments éparpillant le commandement, car ils sont les principaux défauts des organisations. Fayol affirme ainsi le principe de l'unité de commandement : « pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que d'un seul chef ». L'image la plus pertinente pour représenter le bon organigramme selon Fayol est l'arbre. L'arbre ne permet qu'un seul chemin possible pour aller d'un point à un autre. Il se distingue du fonctionnement en réseau où il existe plusieurs voies pour se rendre au même point. L'arbre permet ainsi d'éviter les contradictions dans les ordres transmis et favorise la rapidité de l'exécution. Le principe de l'unité de commandement n'est cependant pas incompatible avec la mise en place de passerelles entre les services permettant ainsi de déléguer la décision, mais à condition que cette délégation émane directement du supérieur hiérarchique.
L'histoire de la théorie des organisations est ensuite marquée par le mouvement des relations humaines. Le précurseur dans ce domaine est Elton Mayo qui, dans ses travaux de recherche réalisés à la Western Electric dans les années 30, met en avant les relations de groupes qui se constituent entre les travailleurs. Dans une entreprise, ces groupes échappent à l'organigramme et sont porteurs de normes propres qui influencent la production et le rapport avec la hiérarchie. Un groupe peut permettre par exemple aux ouvriers de résister aux ingérences des techniciens ou des supérieurs ou bien aux changements fondés sur une logique de coût. Mayo considère l'organisation comme un système social où les relations entre les groupes déterminent les sentiments et les motivations des employés. Le désir des travailleurs doit donc être pris en compte. Leurs aspirations ne sont pas uniquement le bien-être matériel, mais aussi la reconnaissance, la valorisation par le travail et les bonnes relations avec la hiérarchie.
Ces travaux sont prolongés par l'école des relations humaines qui se développe après la seconde guerre mondiale. Cette école insiste sur la nécessité d'accroitre les responsabilités de tous les travailleurs et de promouvoir des relations de qualité entre les dirigeants et les employés. Douglas MacGregor met au point la théorie Y pour repenser, dans la lignée de Mayo, la manière de diriger une entreprise. Cette théorie s'appuie sur trois principes :
- contrairement à ce que pensait Taylor, l'homme n'est pas naturellement réfractaire au travail, mais peut constituer pour lui une source de satisfaction ;
- la crainte de la sanction n'est pas le seul stimulus au travail, mais un objectif clairement défini, et qui engage la responsabilité du travailleur, peut aussi être une incitation puissante à l'action (la prime au rendement n'est pas la seule récompense de l'action réussie, atteindre des objectifs dans une logique de responsabilisation permet aussi à l'employé de se réaliser) ;
- tout individu a la capacité de prendre des responsabilités, il faut donc que les sociétés industrielles modernes permettent de tirer le meilleur parti de tout individu au sein de l'organisation.
Le principe central de la théorie Y est le principe d'intégration. Ce principe consiste pour l'équipe dirigeante à aménager les conditions favorisant la réalisation individuelle des employés de manière à ce que les efforts qu'ils déploient pour y parvenir soient orientés vers la réussite de l'entreprise. MacGregor prône donc l'adaptation du style de direction aux agents de l'organisation. Evidemment, les aspirations personnelles des travailleurs peuvent entrer en contradiction avec les ambitions des dirigeants. Pour résoudre le problème, il faut chercher la conciliation optimale des intérêts afin que le travailleur se sente engagé à la réalisation des objectifs de l'entreprise. Le résultat attendu est que les employés intériorisent le contrôle exercé normalement par leur hiérarchie.
Les travaux du Tavistock Institute, centre britannique spécialisé dans les sciences humaines, viennent s'ajouter aux travaux précédents, notamment grâce à la méthode de la socioanalyse fondée par le psychanalyste Elliott Jaques. La socioanalyse se définit comme l'analyse des comportements des individus en groupe et de leurs attitudes inconscientes, notamment les mécanismes de défense forgés pour se protéger des intrusions. Concrètement, Jaques réunit l'ensemble des membres de la Glacier Metal Company où il travaille, pour qu'ils prennent conscience ensemble des causes des dysfonctionnements de l'organisation. L'objectif est de rendre manifeste à l'organisation ses propres tensions internes afin que ses membres concourent à les réduire. Mais comme le patient en cure psychanalytique, l'organisation craint autant le changement qu'elle le désire. Le rôle du socioanalyste va consister à rendre conscientes les craintes et les réticences qui sous tendent ce changement. Pour Jaques, les conflits naissent de la confusion des rôles joués par chaque agent, confusion dont la motivation inconscience est de combattre l'anxiété que suscite la vision de ses propres contradictions. C'est pourquoi il prône une clarification des fonctions au sein de l'organigramme.
Un autre courant de la théorie des organisations met au centre de l'organisation l'action des agents : il s'agit du courant actionniste. Ce courant identifie les mobiles et les fins des acteurs en considérant qu'ils agissent sous la double contrainte des objectifs organisationnels et individuels. Dans The Functions of the Executive (1938), Chester Barnard distingue le système coopératif et l'organisation. Dans un système coopératif, la fin de l'action collective est fixée par les différents acteurs, et ne dépend que d'eux, tandis que, dans une organisation, elle est préétablie à l'avance et en dehors des agents dont la seule tâche est de la réaliser. En d'autres termes, l'organisation est une catégorie spécifique de système coopératif. La structure d'une organisation a comme spécificité de donner aux agents des rôles et des statuts prédéterminés. L'enjeu pour une organisation est donc d'intégrer les membres à sa propre logique.
Dans Les Organisations, March et Simon insistent sur le fait que les individus et les organisations, contrairement à ce qu'affirme la théorie classique, n'optimisent pas les choix qu'ils réalisent. Les acteurs ne se déterminent pas à agir de manière abstraite, mais tiennent compte de la situation dans laquelle ils se trouvent. Comme ils sont doués d'une rationalité limitée et de contraintes telles que le temps ou l'argent, ils s'arrêtent à la décision la plus satisfaisante et ne recherchent pas la décision optimale.
Dans L'Acteur et le Système (1977), Michel Crozier et Erhard Friedberg proposent un nouveau type d'analyse sociologique tenant compte de cette rationalité limitée des acteurs qu'ils appellent l'analyse stratégique. Selon cette perspective, les choix des acteurs dépendent de la situation et des moyens dont ils disposent pour agir. Cette situation les amène à élaborer des stratégies de manière à étendre leur importance au sein de l'organisation. Ces stratégies permettent de comprendre la régularité du comportement des acteurs. Elles expliquent les choix de leurs actions. L'analyse des stratégies des acteurs permet d'identifier les relations de pouvoirs qu'entretiennent les acteurs entre eux. Par exemple, dans Le Phénomène bureaucratique (1963), Michel Crozier montre que les relations de pouvoir ne sont pas un simple décalque de l'organigramme hiérarchique. Les acteurs en tissant des relations non prévues par l'organisation modifient sa structure pour accroître leur zone de contrôle au dépend des dirigeants. Ainsi pour permettre le changement une socioanalyse ne suffit pas. Il faut également s'intéresser aux relations de pouvoir et tenter de les modifier par une action sur l'environnement, les règles ou les rôles de chacun.
Sources :
Fiche réalisée à partir de l'article Universalis « Théorie des organisations » écrit par René Daval.
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