La rationalité limitée (bounded rationality) désigne une hypothèse sur la rationalité des acteurs économiques qui consiste à considérer qu'ils disposent d'une quantité d'information et de capacités cognitives limitées ne leur permettant pas d'optimiser leurs choix. Cette hypothèse prend à contrepied l'hypothèse de rationalité classique des acteurs économique qui sont eux censés pouvoir établir de manière claire et immédiate leurs préférences. Par exemple, avec une rationalité de type classique, un acteur est en mesure de déterminer parmi tous les choix possibles qu'il préfèrera tel choix, alors qu'avec une rationalité limitée, un acteur s'arrêtera lorsqu'il estimera son choix satisfaisant compte tenu du temps et de l'information dont il dispose pour le réaliser.
Le concept de rationalité limitée a été forgé par Herbert Simon dans Administrative Behavior (1947). Cette nouvelle hypothèse de rationalité a permis de renouveler la manière dont les économistes ont analysé la décision en réintroduisant notamment la notion de contrainte temporelle et de contrainte cognitive. Herbert Simon a fondé son concept sur la critique de la théorie économique de l'époque, qui avec ses critères trop abstraits, empêchait de comprendre la rationalité de certaines décisions. Ces décisions pouvaient apparaître, à l'examen, absurdes alors qu'elles correspondaient à une situation de choix sous contrainte. Pour comprendre la manière dont Herbert Simon redéfinit la rationalité classique, il est possible d'établir le tableau suivant.
Rationalité classique | Rationalité limitée |
Accès illimité à l’information | Accès limité à l’information |
Capacité cognitive d’optimisation | Capacité cognitive de satisfaction |
Vision claire des préférences | Vision floue des préférences |
Tout d'abord, il faut admettre selon Simon, qu'un individu ne dispose pas d'un accès illimité à l'information, notamment parce que s'informer demande à la fois des ressources en termes d'argent, de temps, mais aussi en capital social. Ensuite, un individu dispose de capacités cognitives qui ne lui permettent pas à la manière des ordinateurs d'obtenir une vue synoptique de toutes les situations dans lesquelles il se trouve, avec pour chacune, une analyse en termes de coûts et de bénéfices. Il ne peut donc pas optimiser son choix, c'est-à-dire sélectionner objectivement le meilleur de tous les choix possibles. En revanche, il peut sélectionner le meilleur choix possible du point de vue de ses propres critères de satisfaction : il arrête sa recherche d'information lorsqu'il estime que la solution à laquelle il est parvenu lui semble la meilleure possible subjectivement. Enfin, un individu réel n'a pas toujours une vision claire de ce qu'il veut : bien souvent ses préférences sont amenées à évoluer en fonction du temps et des situations qu'il traverse. Ses préférences peuvent également apparaître contradictoires ou bien encore après coup. Il faut donc supposer des individus aux préférences floues.
Dans l'optique d'Herbert Simon, les choix des individus sont toujours rationnels, ils font l'objet d'un processus de sélection en vue du meilleur choix subjectivement possible, mais cette rationalité est limitée par l'environnement. Cette conception limitée de la rationalité aboutit à considérer avec intérêt l'environnement dans lequel une décision s'inscrit. L'environnement joue en effet comme une contrainte sur le comportement et la rationalité des acteurs. Dans une organisation, les individus sont incités à poursuivre les objectifs de l'organisation. Par conséquent, pour influencer un individu au sein d'une organisation, il faut parvenir à aménager son environnement de telle sorte que celui-ci ne constitue plus une limite, mais devienne l'outil de son dépassement.
Dans Administrative Behavior. A Study of Decision-Making in Administrative Organization (1947), Herbert Simon réalise une analyse de la décision dans le but de renforcer la conformité des comportements individuels aux normes des décideurs. Dans une optique classique, l'environnement n'agit pas comme une contrainte sur la rationalité des acteurs : c'est une rationalité omnisciente et omnipotente. Dans l'optique de Simon, la rationalité doit s'apprécier en fonction des objectifs d'une organisation. L'organisation constitue un environnement pour l'individu qui cadre son choix. Elle exerce deux types d'influence que sa décision :
- une influence externe : ce sont les stimuli envoyés par l'organisation pour influencer l'individu, essentiellement l'autorité et la communication.
- L'autorité permet de prévoir quels seront les comportements adoptés par autrui.
- La communication permet de transmettre un cadre à l'élaboration de la décision.
- l'influence interne : c'est le caractère psychologique des individus qui détermine la réponse aux stimuli, qui est déterminé par un critère d'efficience et d'identification aux objectifs de l'organisation.
- Le critère d'efficience désigne les informations dont une personne dispose sur l'efficience d'une mesure prise pour atteindre un résultat donné.
- Le phénomène d'identification constitue le degré d'identification d'une personne aux objectifs de l'organisation (ce phénomène incite la personne à suivre les objectifs importants, mais il peut aussi aboutir à des situations contre-productives lorsqu'une personne ne suit plus que les objectifs importants et délaisse les objectifs secondaires).
A la lumière de cette double influence, il est possible de déterminer le cadre de la décision, ce que Simon appelle les « prémisses de la décision ». Plus ces prémisses seront prégnantes au sein de l'organisation, plus le cadre de la décision pourra influencer l'individu dans ses choix. Dans ces conditions, une entreprise a tout intérêt à concevoir un tel environnement organisationnel : cela doit permettre aux choix des acteurs de coïncider avec les objectifs de l'entreprise et de réduire les limites de la rationalité lors de la prise de décision. Le cadre de la décision est le résultat d'un processus d'apprentissage qui permet d'objectiver les critères de satisfaction de ses membres. Cette analyse invite à considérer à la fois la personnalité des individus (critères d'influence interne) et le cadre d'action de l'organisation (critères d'influence externe) dans le but de faire tendre les acteurs vers les normes de satisfaction minimales de l'organisation.
La remise en cause de la théorie classique de la rationalité, aussi appelée la théorie du choix rationnel, permet d'éviter le rejet dans l'irrationnel des comportements qui ne cadrent pas a priori avec les canons du choix optimal. Elle permet également de prendre en compte les comportements dans leur dimension d'adaptation aux contraintes. Cette posture incite à considérer que les individus ont toujours de bonnes raisons d'agir comme ils le font.
La « rationalité limitée » aboutit aussi en matière de sécurité à des décisions non optimales en matière de prévention, avec des attitudes suscitées plus par l’émotion que par la réflexion, amenant à des craintes excessives ou au contraire à un déni des dangers et à une trop grande confiance et une banalisation, à l’origine soit de surprotection inutile, soit de sous-protection néfaste.
RépondreSupprimerLimiter l’influence des biais cognitifs implique des changements comportementaux vis-à-vis de la sécurité au travail : le développement d’une conscientisation des risques, la formation et l’établissement de consignes claires et partagées, la sanction ou la récompense ...
Il existe aussi une méthode d'influence des comportements tirant parti de la rationalité limitée : le « nudge » (coup de pouce) qui est une incitation comportementale à la sécurité : http://www.officiel-prevention.com/formation/conseils/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=183&dossid=587
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