mardi 30 juin 2009

Le partage de la valeur ajoutée

La valeur ajoutée désigne la richesse produite par une entreprise. Cette valeur est ensuite répartie sous forme de revenus entre les salaires, les profits et les impôts. La valeur ajoutée brute (VAB) est égale à la valeur de la production diminuée des consommations intermédiaires. Elle approche donc le montant du PIB.

La répartition de la valeur ajoutée connaît des évolutions marquées depuis les trente dernières années en France. On distingue généralement trois périodes. Dans les années 70, le salaire réel progresse beaucoup plus rapidement que la productivité marginale, et le taux de marge (c'est-à-dire la rémunération du capital dans la valeur ajoutée, donc les profits ou EBE – excédents bruts d'exploitation – divisés par la valeur ajoutée) baisse fortement. Dans les années 80, le taux de marge augmente, et le rapport entre le salaire réel et la productivité marginale du travail diminue fortement. Le partage de la ajoutée bénéficie donc de moins en moins aux salariés et davantage aux profits. Dans les années 90, le partage de la valeur ajoutée se stabilise. Après 98, le taux de marge revient au même niveau que dans les années 70.

Il existe de fortes disparités sectorielles dans le partage de la valeur ajoutée . La déformation du partage de la valeur ajoutée dans les années 80 aux dépens des salariés a en fait surtout concerné le secteur industriel, notamment celui des secteurs de technologie avancée. En revanche, dans le secteur tertiaire, le partage est resté stable. La baisse de l'industrie et la hausse du tertiaire créent également des effets dans la répartition de la valeur ajoutée : la part rémunérant les profits étant plus importante là où le nombre de salariés diminuent, en l'occurrence ici, pour le secteur industriel.

Il existe également de fortes disparités en fonction de la taille de l'entreprise. La baisse de la part des salaires dans les années 80 a plus fortement marqué les grandes entreprises et les déformations à la hausse dans les années suivantes sont moins évidentes que dans les PME.

Après le premier choc pétrolier de 1973, les hausses de salaire indexées sur la progression des prix à la consommation deviennent plus importantes que les gains de productivité. La rémunération du capital encaisse les chocs liés à l'insuffisante flexibilité des salaires. Mais dans les années 80, l'augmentation du chômage et le changement de mode d'organisation des entreprises (passage d'un capitalisme managérial à un capitalisme financier où l'intérêt de l'actionnaire efface le prestige du manager, et où la rentabilisation du capital investi s'impose comme la mesure première du bien-être collectif) provoquent une modération salariale qui devient structurelle dans les années 90.

L'évolution du coût des facteurs de production (capital, travail) entraîne une substitution du travail par le capital. Une hausse du coût du capital provoque une diminution de la part salariale, alors qu'une hausse du coût du travail suscite une augmentation de la part salariale. Dans les années 70, l'importance de la part salariale s'explique par une baisse des taux d'intérêts (le coût du capital baisse) et une inflation élevée. Dans les années 80, la substitution du capital au travail du fait de l'automatisation croissante, entraîne une hausse de la part des profits au sein de la valeur ajoutée.

Durant l'année 2008, le débat sur le partage de la valeur ajoutée se trouve relancé par Gérard Bouvier et Charles Pilarski. Selon ces deux économistes de l'INSEE (Institut National de Statistiques et d'Etudes Economiques), malgré l'amélioration du taux de profit dans les années 80, il existerait une baisse tendancielle du taux de profit depuis 1949, alors que la part des salaires se maintiendrait sur le long terme. Rappelons que la baisse tendancielle du taux de profit est un concept central du marxisme, qui affirme que le taux de profit dans une économie capitaliste est condamné à chuter tendanciellement, en raison de l'augmentation de l'intensité capitalistique au détriment du travail.

L'économiste Michel Husson dans un article (« La véritable histoire de la part salariale ») revient sur leur analyse pour la critiquer. Selon lui, si on s'intéresse aux analyses de la BRI (Banque des Règlements Internationaux), du FMI (Fond Monétaire International) et de la Commission européenne, on constate une dégradation de la part salariale dans la répartition de la VA, et qui se fait en faveur des taux de marge. L'analyse d'une baisse tendancielle des taux de profit par l'INSEE relèverait de deux biais : celui de l'inclusion des entreprises individuelles qui subissent un net recul ces cinquante dernières années et celui de l'absence de prise en compte d'un effet structurel : le développement du salariat.

Husson analyse également un tournant néo-libéral en 80. De 1975 à 1985, on constate en effet une bosse de la part salariale dans la répartition de la valeur ajoutée. Cette bosse correspond au passage d'un modèle fordiste où le salaire réel augmente comme la productivité du travail, à un modèle néo-libéral où sous prétexte de lutte contre l'inflation, le salaire réel est déconnecté de la productivité. Dans ce régime libéral, le salaire réel augmente moins vite que la productivité.

On peut également souligner une rupture dans les rapports de force sociaux. Le compromis fordiste, accord tacite selon lequel, en échange d'un salaire relativement élevé et indexé sur la productivité du travail, les salariés acceptent de se plier aux méthodes de production de masse, est rompu. La désindexation des salaires par rapport aux prix, a été une mesure pour lutter contre l'inflation, mais qui du même coup, a aussi cassé le lien entre salaire réel et productivité, instaurant ainsi une nouvelle norme salariale. L'inflation a baissé, mais la part salariale aussi pour atteindre un niveau inférieur à celui qui prévalait avant la crise.

Denis Clerc montre cependant dans « Quelle tendance pour les salaires dans la valeur ajoutée ? », que la baisse tendancielle de la part salariale relevée par Michel Husson ne semble pas pertinente dans le cas de la France. Il intègre dans son analyse l'évolution du salariat et montre que la France ne connaît pas de mouvement général de baisse de la part salariale dans la répartition de la valeur ajoutée. Il montre néanmoins qu'il existe un changement de régime de croissance. D'une industrialisation et de gains de productivité élevés, on passerait à une tertiarisation et à des gains de productivités plus faibles caractéristiques d'une économie nouvelle : l'économie de la connaissance.

En conclusion, si l'on suit Denis Clerc, il apparaît que la part salariale de la valeur ajoutée n'a pas diminué en France. Il reste cependant des évolutions majeurs qui peuvent expliquer une sensation de dégradation de la répartition de la VA. D'une part, il s'agit de l'augmentation des cotisations sociales (CSG et CRDS) qui sont ponctionnées sur le salaire brut. D'autre part, le passage aux 35 heures a contribué à augmenter la masse salariale aux dépens de l'augmentation des salaires. En conséquence, moins qu'à une baisse tendancielle, c'est à une transition que l'on assiste, celle entre deux structures économiques nationales.

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