Le contrôle d'une entreprise fait parfois l'objet d'une lutte âpre entre les différents concurrents se disputant un secteur. Par contrôle, il faut entendre la capacité d'exercer un pouvoir de direction sur une entreprise. Cette notion de pouvoir est complexe car on ne peut pas forcément la lier à la propriété de l'entreprise. Il est possible de posséder une entreprise sans en avoir forcément la propriété complète. Posséder 50% du capital social plus une action ne suffit pas toujours à contrôler l'entreprise. En langage juridique, on exprime cette idée ainsi : le contrôle de droit (50%+1) de l'entreprise n'implique pas forcément un contrôle de fait. Dans Economie industrielle (1991), Jean-Pierre Angelier montre comment certaines sociétés américaines peuvent être contrôlées par des groupes de personnes ne possédant que 2% du capital social. Nous allons donc repérer les différents dispositifs permettant un contrôle de fait possibles de l'entreprise. Trois supports principaux sont à souligner : financiers, personnels et technico-productifs. La combinaison de ces différents supports a généré la création d'une nouvelle notion : celle de groupe.Les supports personnels sont des outils de contrôle qui échappent aux jeux de propriété. Ils sont surtout le fait de la composition des Conseils d'Administration. Le Conseil d'Administration (CA) est un groupe de personnes, morales ou physiques, chargé de diriger une entreprise. Un CA de société anonyme comprend de trois membres minimum à dix-huit membres au maximum, dont un président désigné ou élu, et un secrétaire. Ces membres sont appelés les administrateurs de l'entreprise et sont nommés par l'Assemblée Générale (AG) des actionnaires. Le premier outil servant de support personnel est donc la présence au CA. En France, la loi limite le nombre de participation pour une personne physique à huit CA. Mais cette limitation ne concerne pas les personnes morales, ce qui permet à certaines entreprises de se faire représenter par une personne physique dans de nombreux CA. Le nom des administrateurs doit être public et est communiqué dans divers annuaires (le plus connu est l'annuaire Desfossés). Le minimum légal pour se trouver dans un CA est la possession d'au moins une action de l'entreprise. Le deuxième outil non moins important est la procuration. Tout actionnaire qui ne peut pas se rendre physiquement à l'Assemblée Générale des actionnaires peut transmettre une procuration (un Bon pour pouvoir). Cela permet à certains membres du CA d'avoir plus de voies que ce qu'ils en possèdent. Ainsi on peut assister à des batailles de procuration (proxy fights) entre membres du CA et d'autres actionnaires soucieux de les évincer.
Il nous faut terminer sur la notion de groupe. En effet, l'ensemble de ces systèmes financiers, personnels et technico-productifs a conduit à l'apparition d'une nouvelle forme d'entreprise que l'on appelle le groupe d'entreprises. Il s'agit d'un ensemble d'entreprises, présentant des personnalités morales distinctes, mais entretenant des liens directs et indirects principalement financiers (participations ou contrôle) mais aussi fréquemment organisationnels (dirigeants, stratégies, etc.), économiques (mise en commun de ressources) ou commerciaux (ventes et achats de biens ou de services). L'existence de personnalités morales distinctes, permet de caractériser la notion de groupe et la différenciant par exemple des relations qui existent entre une entreprise et ses établissements ou succursales. Un groupe d'entreprise est dirigé par une entreprise qualifiée de maison mère, entreprise non contrôlée directement ou indirectement par une autre entreprise et ayant donc au moins une filiale. Cet ensemble peut prendre la forme spécifique de holding (société créée pour regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d'en assurer l'unité de direction stratégique). Il existe quatre sortes de holding : la holding par le haut (gestion des titres des autres sociétés du groupe), la holding par le bas (gestion d'activités économiques séparées, organisées en filières distinctes et comportant chacune des filiales), la holding de rachat (gestion d'apports de capitaux divers) et la société de portefeuille (semblable aux trusts américaines qui ne gère que les titres des sociétés qu'elle contrôle, mais pas leurs activités économiques). Le Groupe en France n'est pas doté de personnalité morale. L'équivalent allemand, le Konzern, en est en revanche doté. Aux Etats-Unis, on parle de trust et au Japon de Zaibatsu.
Le groupe peut prendre quatre formes spécifiques. La première forme est le conglomérat : il s'agit d'un ensemble d'entreprises dont les activités n'ont pas de liens entre elles (par exemple, un ensemble comprenant une entreprise de yaourts et une entreprise de chaussures). La deuxième est la concentration verticale : il s'agit de constituer une structure permettant de contrôler les diverses étapes de production d'un produit (par exemple, une entreprise de récipients en plastique et une entreprise d'eau minérale). La troisième est la concentration horizontale : il s'agit d'un ensemble de producteurs d'un même produit ou service, forme s'approchant de ce qu'on appelle le monopole (par exemple, plusieurs entreprises productrices de bière). La quatrième et dernière forme est la firme multinationale ou transnationale qui regroupe toutes les formes précédentes en les appliquant sur des espaces économiques nationaux différents.En conclusion, l'entreprise se trouve au cœur de jeux de pouvoir dont les fondements sont avant tout la recherche d'un profit ou d'une rentabilité monétaire. Pour cette raison, les entrepreneurs émettent des stratégies de regroupement ou de séparation, de transferts ou d'acquisition, de prise de participation ou d'absorption. Cependant, sans un minimum de réflexion sur la capacité de créer des richesses, ils risquent de devenir comme ces « Maîtres des Forges » dénoncés par Adam Smith qui ne recherchent que leur enrichissement personnel. C'est pourquoi un bon entrepreneur est d'abord un industriel qui cherche, par les stratégies de contrôle, la meilleure façon de créer de nouvelles richesses. C'est cela peut-être là la vraie nature du pouvoir de l'entrepreneur : non pas la richesse elle-même, mais sa capacité à la créer.
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