jeudi 16 septembre 2010

La théorie de l’utilité marginale

La théorie de l'utilité marginale (aussi appelé le marginalisme) est une théorie selon laquelle la valeur résulte de l'utilité marginale. Elle est considérée comme la « révolution néo-classique » ou « révolution marginale ». Cette « révolution » est un des meilleurs exemples « d'invention simultanée », concept du sociologue des sciences Robert Merton qui indique la marche inexorable de la science : une fois les questions parvenues à maturité, les mêmes solutions s'imposent aux chercheurs, même s'ils ne communiquent pas entre eux. En effet, simultanément mais indépendamment, trois penseurs européens – William Jevons, Carl Menger en 1871 et Léon Walras en 1874 – vont développer le concept d'utilité marginale. Cela est d'autant plus surprenant qu'à cette époque le contexte intellectuel et le développement économique de Manchester, Vienne et Lausanne sont très différents.

Le développement du marginalisme a engendré un changement de paradigme. En effet, alors qu'Adam Smith, David Ricardo et les classiques anglais expliquaient la valeur relative d'un bien par la quantité de travail nécessaire pour le produire (la valeur-travail), les marginalistes l'expliquent via l'utilité marginale. Ce changement fondamental marque le passage de l'économie classique à l'économie néo-classique. Il est accompagné par l'effacement de la théorie de la valeur au profit de la théorie de la détermination par les prix.

A l'origine de cette nouvelle théorie, se trouve le problème de la valeur qui se posait aux économistes classiques du XVIIIe et du XIXe siècle. Ce problème était lié à la difficulté de concilier la valeur d'usage et la valeur marchande d'un bien :

  • la valeur d'usage est la valeur que représente un bien pour les usagers ;
  • la valeur marchande est le prix du bien sur le marché.

Cette contradiction peut être illustrée au moyen du paradoxe de l'eau et du diamant : l'eau, indispensable à la vie des hommes, ne vaut presque rien, alors que le diamant, qui est moins important pour la survie, possède une valeur marchande très élevée. Ce paradoxe est énoncé par Adam Smith dans De la richesse des nations (1776) de la façon suivante : « Il n'y a rien de plus utile que l'eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n'a presque aucune valeur quant à l'usage, mais on trouvera fréquemment à l'échanger contre une très grande quantité d'autres marchandises ».

Ce paradoxe peut être résolu si l'on distingue l'utilité totale que l'on tire d'un bien et son utilité marginale :

  • l'utilité totale désigne la satisfaction globale qu'un individu peut retirer de la consommation d'un bien ;
  • l'utilité marginale renvoie à la satisfaction que procure une variation de la quantité d'un bien consommée.

En effet, si l'eau a une utilité totale forte par rapport à celle des diamants, son utilité marginale est faible du fait de son abondance. Les individus ne sont donc pas prêts à payer un prix élevé pour se la procurer. En revanche, l'utilité marginale d'un diamant, du fait de sa rareté, en fait un bien plus cher, même si son utilité totale est moindre que celle de l'eau. La théorie de l'utilité marginale affirme ainsi que les comportements des individus sont guidés par l'utilité marginale et non pas par l'utilité totale. Le fondement de la valeur d'un bien n'est pas son utilité totale, mais son utilité marginale, c'est-à-dire sa rareté, rareté qui se trouve mesurée par un prix sur le marché.

Pour pouvoir mesurer l'utilité marginale en fonction de l'utilité totale, l'analyse économique a ensuite distingué deux types de bien :

  • les biens indivisibles : ce sont les biens qui ne peuvent pas être vendu par division, par exemple, on ne peut pas vendre la moitié d'une voiture ou un quart de paire de lunettes ;
  • les biens divisibles : ce sont les biens dont on peut diviser l'unité, par exemple, on peut vendre 1 kg de farine, mais aussi 500 g.

Lorsqu'un bien est indivisible, son utilité marginale correspond à l'ajout d'une unité supplémentaire de ce bien. L'outil mathématique qui permet de la calculer est la variation. L'utilité marginale d'un bien X est égale à la variation de l'utilité divisée par la variation de la quantité de X.

Lorsqu'un bien est divisible, son utilité marginale correspond à la variation de l'utilité totale pour une variation infiniment petite de la quantité consommée. L'outil mathématique qui permet de la calculer est alors la dérivée. Une dérivée permet de mesurer comment varie une variable, qui est fonction d'une autre variable, lorsqu'elle tend vers 0.

Un individu qui consomme une quantité croissante de bien obtient un niveau de satisfaction qui dépend de l'intensité du besoin qu'il cherche à satisfaire. Le plaisir est proportionnel au manque avant la consommation. Pour cette raison, l'analyse micro-économique considère que l'intensité d'un besoin est décroissante à mesure que la quantité consommée augmente. Autrement dit, plus les quantités consommées augmentent et plus la satisfaction d'un bien supplémentaire consommé diminue. L'utilité totale continue à augmenter, mais elle augmente moins vite, car l'utilité marginale – c'est-à-dire l'utilité d'un bien supplémentaire consommé – diminue. Lorsqu'un individu arrive à satiété, l'utilité marginale est nulle : une unité supplémentaire consommée n'augmente plus la satisfaction globale (c'est-à-dire l'utilité totale).

Cette théorie met en avant l'un des principes majeurs de l'analyse économique : toute décision individuelle résulte d'une comparaison et d'une égalisation marginale des coûts et de la satisfaction tirés de la consommation d'un bien. Lorsque l'avantage maximum est atteint, la consommation s'arrête. La valeur d'échange d'un bien est ainsi mesurée par le désir des individus de se le procurer. Chaque bien peut donc avoir sa propre valeur d'usage selon les goûts subjectifs des individus et des circonstances, mais in fine seule la valeur d'échange (qu'on appelle aussi le prix) peut être observée (objectivée). Par conséquent, avec cette théorie, il n'existe pas de valeur en soi, mais seulement un prix, qui est le résultat objectif de la somme de préférences circonstanciées et subjectives.


Bibliographie


Généreux, Jacques, Economie politique, Microéconomie, 5e édition, Hachette supérieure.

Picon, Dorothée, « L'utilité marginale, une idée dans l'air », Sciences Humaines.


6 commentaires:

  1. Vous venez d'éclairer mon cours d'économie politique ! Merci pour cette explication courte, claire et efficace.

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  2. Merci pour votre message, et ravi que cette fiche sur la théorie de l'utilité marginale ait pu vous être utile.

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  3. merci bcp M.Nicolas pour ce cours bien efficace pour moi .je le trouve très claire ,il m'aide pour avancer a l’étude microéconomie ...

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  4. Oui; votre explication est magnifique et vaux tout le baratin où les profs engloutissent leurs étudiants.

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  5. merci pour cet article qui éclaircit avec des mots simples des choses qui peuvent paraitre compliquées
    En lisant ceci,je ne peux m'empêcher de penser à la théorie de Fechner:« la sensation varie comme le logarithme de l'excitation » En gros, elle dit que si on veut avoir la sensation de voir la route éclairée deux fois mieux, il ne faut pas mettre 2 phares mais 10, puis 100 puis 1000 etc...! idem pour l'audition. Bref, c'est une sorte de "sensation marginale"
    fabrice-bruno.faure@laposte.net

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    1. Encore faudrait-il que l'utilité soit une valeur quantifiable et non strictement qualitative. ça se mesure comment une utilité, 2 utilités...
      Il y a 200 ans, 150 ans l'eau n'avait pas de valeur simplement parce que le travail pour la puiser ou la pomper ne coûtait rien. Or c'est le coût du travail nécessaire pour l'extraire qui définissait sa valeur marchande minimale. On ne connaissait pas le vibrion cholérique et toutes les autres sources de maladies présentes dans l'eau. Et l'on renvoyait les eaux usées directement dans la rivière. Aujourd'hui, tu dois la payer ton eau et cela n'est pas un hazard...Il faut la filtrer la stériliser etc... et les eaux usées que tu rejette il faut aussi les traiter...
      Par contre va chercher un diamant, je te donne une pelle et une brouette je viendrait te voir dans quelques années, pour voir si tu en as trouvé un...
      Si l'école marginaliste a fait tant d'émules avec une théorie aussi vide de sens c'est uniquement parce qu'elle est apparue alors que Riccardo puis Marx en avaient sorti une beaucoup logique mais que les classes dominantes (donc oisives) ne voulaient pas entendre. "Il n'y a pas de création de valeur sans travail productif..."

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