L’innovation organisationnelle est souvent négligée lorsqu’on analyse les progrès industriels. L’analyse a tendance à trop s’attarder sur l’innovation technique et à laisser de côté, ce qui souvent la rend possible : le changement institutionnel. En histoire, la révolution industrielle est racontée à partir des inventions faites dans certains secteurs comme la filature et le tissage, les mines de charbon et les aciéries, la production d’énergie et les transports. De même, la révolution agricole est attribuée aux nouvelles semences, aux nouvelles techniques de drainage, d’irrigation ou de fertilisation des sols, aux innovations dans l’outillage et à la sélection des espèces pour l’élevage. Cela revient à postuler l’existence d’un déterminisme technologique fort.
Cette position tend à négliger l’approche en termes de changements organisationnels et sous-estime le poids des institutions dans le progrès industriel. C’est du moins le constat que font les théoriciens de l’économie institutionnelle qui souhaite étendre l’étude de l’histoire économique aux changements institutionnels. On peut invoquer deux exemples historiques incitant à la prise en compte de cette approche : le mouvement des enclosures qui joue un rôle considérable dans le développement de l’agriculture intensive et le système d’usine qui ouvre la voie au travail industriel.
Le mouvement des enclosures fait référence aux changements qui, dès le XIIe siècle mais surtout à partir de la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle ont transformé, dans certaines régions de l'Angleterre, une agriculture traditionnelle dans le cadre d'un système de coopération et de communauté d'administration des terres (généralement champs de superficie importante, sans limitation physique, cf. l’openfield) en système de propriété privée (chaque champ étant séparé du champ voisin par une barrière). La mise en culture de ces terres a favorisé les innovations techniques comme la suppression de la jachère et la rotation permanente des cultures qui se mettent en place lors de la révolution agricole. En outre, en favorisant l’exode rural, ce mouvement d’enclosure a mis à disposition à proximité des centres urbains une main-d’œuvre bon marché utilisable par les manufactures.
Le système d’usine est également une innovation dans l’organisation du travail industriel. Historiquement, on est passé du système de putting-out (un marchand-entrepreneur passe au domicile des travailleurs pour leur fournir une matière première ; ces travailleurs transforment la matière avec leurs propres outils, et le marchand-entrepreneur vient ensuite récupérer la production pour la vendre), à un système d’usine où des ouvriers sont organisés dans un collectif de travail et regroupés dans un même lieu. La réunion des travailleurs puis la division du travail en tâches plus simple à effectuer a ensuite favorisé le développement du machinisme, permettant ainsi d’accroître les cadences de production.
Si l’on compare ces deux évolutions, le passage de l’openfield à l’enclosure et celui du système de putting out au système d’usine, on peut remarquer un paradoxe : la logique d’évolution organisationnelle dans l’agriculture va du collectif à l’individuel, alors que dans l’industrie, elle va de l’individuel au collectif. Ce paradoxe est plus connu sous le nom de paradoxe de Dahlman, un spécialiste de l’économie institutionnelle. Il démontre ainsi que le travail collectif qui est un archaïsme dans l’agriculture est un progrès dans l’industrie.
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